Rappelons que l’article 54 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 a instauré, à titre expérimental, une procédure juridictionnelle permettant au bénéficiaire ou à l’auteur de certaines décisions non réglementaires de saisir la juridiction administrative d’une demande d’appréciation de leur légalité externe.

Toutefois, les modalités de fonctionnement de cette procédure restaient suspendues à la prise d’un décret en Conseil d’Etat par le gouvernement.

Tel n’est plus le cas. En effet, le 6 décembre 2018 a été publié le décret no 2018-1082 du 4 décembre 2018 relatif à l’expérimentation des demandes en appréciation de régularité.

En synthèse et suivant sa notice, le décret précise le champ d’application de la loi précitée d’une part, fixe les règles de procédures applicables d’autre part, et prévoit un mécanisme de suivi enfin.

Premièrement et s’agissant de son champ d’application géographique et matériel

D’une part, le ressort géographique de l’expérimentation est limité, selon son article 1er, aux ressorts des tribunaux administratifs de Bordeaux, Montpellier, Montreuil et Nancy.

D’autre part, les demandes en appréciation de régularité ne pourront concerner, suivant l’article 2 du décret,  que les décisions relevant d’opérations complexes, à savoir :

  • Les arrêtés déclarant l’utilité publique sur le fondement de l’article L. 121-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et les arrêtés de prorogation pris sur le fondement de l’article L. 121-5 du même code ;
  • Les arrêtés d’ouverture de l’enquête publique préalable à une déclaration d’utilité publique pris sur le fondement des articles R. 112-1 à R. 112-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
  • Les arrêtés d’ouverture d’une enquête parcellaire pris sur le fondement de l’article R. 131-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
  • Les déclarations d’utilité publique en matière d’opérations de restauration immobilière prises sur le fondement de l’article L. 313-4-1 du code de l’urbanisme ;
  • Les arrêtés préfectoraux créant une zone d’aménagement concerté sur le fondement de l’article R. 311-1 du code de l’urbanisme ;
  • Les arrêtés déclarant insalubres des locaux et installations utilisés aux fins d’habitation sur le fondement de l’article L. 1331-25 du code de la santé publique ;
  • Les arrêtés déclarant un immeuble insalubre à titre irrémédiable sur le fondement du I de l’article L. 1331-28 du code de la santé publique.

 

Deuxièmement, s’agissant de la procédure de demande en appréciation de régularité.

En premier lieu, s’inspirant des articles et R411-1 et R412-1 du Code de justice administrative, le décret prévoit que la demande en appréciation de régularité devra être présentée dans un mémoire distinct contenant l’exposé des éléments utiles à l’appréciation de la légalité externe de la décision en cause, et devra être accompagnée de la décision en cause.

A défaut de quoi, cette demande ne pourra plus être régularisée après l’expiration du délai prévu au premier alinéa du II de l’article 54 de la loi du 10 août 2018, à savoir, trois mois à compter de la notification ou de la publication de la décision en cause.

En outre, le décret précise que les tiers ne pourront intervenir à la procédure, que dans les conditions précitées, pour ainsi dire par mémoire distinct et limité à l’appréciation de la légalité externe de la décision en cause. La principale différence étant que les tiers ne pourront présenter de mémoire que dans un délai de deux mois suivant la date à laquelle la publicité prévue ci-après a été effectuée.

En deuxième lieu, s’agissant toujours du contradictoire, le décret prévoit, d’une part que  la demande en appréciation de régularité et, s’il est produit, le mémoire complémentaire annoncé dans la demande sont communiqués aux intervenants avec les pièces jointes dans les conditions prévues par le code de justice administrative aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6 et d’autre part que le premier mémoire de chaque intervenant est communiqué dans les mêmes conditions à l’auteur de la demande ainsi qu’à l’auteur de la décision administrative en cause s’il n’est pas le demandeur et les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s’ils contiennent des éléments nouveaux.

En troisième lieu, s’il était déjà acquis que le législateur avait prévu que la demande en appréciation devra être « rendue publique dans des conditions permettant à toute personne ayant intérêt à agir contre cette décision d’intervenir à la procédure», le décret impose à l’auteur de la décision faisant l’objet d’une demande en appréciation de régularité de procéder « à la publicité de cette demande dans un délai d’un mois à compter de son dépôt ou de la communication qui lui en est faite par le tribunal administratif. ».

A cet égard, le décret fixe les modalités de cette publicité en imposant qu’elle comporte :

  • L’objet, la date et l’auteur de la décision faisant l’objet de la demande en appréciation de régularité ;
  • L’identité de l’auteur de la demande, le tribunal administratif compétent, la date du dépôt de la demande et son numéro d’enregistrement ;
  • L’indication de la possibilité, pour les tiers ayant intérêt à agir, d’intervenir à la procédure dans un délai de deux mois à compter de la date de l’information ;
  • L’indication selon laquelle, dans l’hypothèse où la juridiction constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne pourra plus être invoqué par voie d’action ou par voie d’exception à l’encontre de cette décision.

En quatrième lieu, le gouvernement a jugé qu’un délai de 6 mois était un « délai rapide» pour « assurer la qualité et la célérité de la procédure juridictionnelle » comme le demandait le législateur et si le législateur a prévu que le tribunal statuerait en premier et dernier ressort et que son jugement ne serait donc « pas susceptible d’appel », le décret donne qualité à l’auteur de la demande en appréciation de régularité et aux intervenants pour se pourvoir en cassation contre la décision rendue par le tribunal.

Du reste, le pourvoi en cassation suspend l’examen des recours dirigés contre la décision faisant l’objet de la demande et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe, à l’exclusion des référés prévus au livre V du code de justice administrative.

En cinquième lieu, précisons, en suivant l’article 9 du décret, que les décisions rendues en appréciation de régularité par le tribunal administratif et, le cas échéant, par le Conseil d’Etat devront être notifiées dans les conditions prévues aux articles R. 751-1 et suivants du code de justice administrative.

Sous peine d’être inopposables aux tiers, ces décisions sont rendues publiques, dans, par l’auteur de la décision administrative faisant l’objet de la demande dans les conditions prévues par le décret. Le jugement devra d’ailleurs mentionner l’obligation ainsi faite à ce dernier.

Troisièmement et enfin, s’agissant du suivi de l’expérimentation.

Le gouvernement a prévu, au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, que le Conseil d’Etat adresse lui adresse ainsi qu’au Parlement un rapport d’évaluation indiquant notamment :

  • Le nombre de demandes en appréciation de régularité jugées recevables, pour chacune des catégories de décisions entrant dans le champ de l’expérimentation ;
  • Le nombre de pourvois formés à l’encontre des décisions des tribunaux ;
  • Le nombre de décisions juridictionnelles constatant la légalité externe des décisions administratives en cause ;
  • Le nombre de décisions de cassation infirmant la solution retenue par le tribunal. Le rapport fait également état, le cas échéant, des difficultés rencontrées par le juge pour appliquer les dispositions du code de justice administrative à la demande en appréciation de régularité, ainsi que des propositions qui pourraient être faites à ce sujet dans l’hypothèse d’une généralisation du dispositif.